360°Prévoyance I News
Le retour de l'inflation et l'augmentation des rendements obligataires ont été significatifs l'année dernière et soulèvent un certain nombre de questions et de défis potentiels pour les caisses de pension et leurs employeurs. La hausse des rendements obligataires (baisse de la valeur des titres obligataires), combinée de manière inhabituelle à la baisse de la valeur des actions au cours de l'année 2022, a entraîné des réductions significatives des degrés de couverture des caisses de pension suisses, effaçant ainsi les gains des années précédentes. En effet, la CHSPP signale que 29 % des caisses de pension suisses avaient un degré de couverture inférieur à 100 % à la fin de l'année 2022, contre seulement 2 % l'année précédente. Les risques sont donc plus élevés et les caisses de pension feront l'objet d'un examen plus approfondi en 2023, car les marges de manœuvre sont réduites en cas de nouveaux chocs.
Dans cet article, nous commentons les différents éléments et développements du marché de la prévoyance qui ont récemment affecté les caisses de pension.
Les marchés financiers ont connu d'importants changements au cours de la récente année, à un moment où l'on aurait pu s'attendre à ce que la situation se calme après la volatilité des marchés et les turbulences dues à l'incertitude provoquée par la récente pandémie mondiale. Au lieu de cela, les pressions géopolitiques ont soudainement exacerbé la hausse des prix de l'énergie, qui a propulsé l'inflation à des niveaux jamais atteints depuis 20 ans en Suisse (similaire aux autres pays occidentaux). Cela a entraîné une fin abrupte d’une période sans précédent de conditions d’emprunts bon marché et de faibles taux d'intérêt qui a découlé de la dernière crise financière, il y a environ 15 ans. Il s'agit bien sûr d'une simplification des facteurs macroéconomiques qui ont conduit à cette situation, mais il n'en reste pas moins qu'au cours de l'année écoulée, l'inflation suisse est revenue en force par rapport aux 20 dernières années, que les rendements obligataires ont bondi d'environ 2,0 % et que la valeur des actifs des caisses de pension a connu une baisse significative en 2022. La figure 1 met tout cela en contexte sur les 10 dernières années.
Les quelque 15 années de faibles rendements obligataires ont exercé une influence significative sur le marché suisse de la prévoyance. Lentement mais sûrement, et en particulier au cours des 5 à 10 dernières années, les conseils de fondation ont dû réagir en diminuant leur taux d'intérêt technique (augmentant ainsi leurs engagements statutaires des bilans des caisses de pension) en raison de la baisse des attentes de rendement de leurs investissements. La question est maintenant de savoir si les caisses de pension augmenteront à nouveau leur taux d'intérêt technique pour refléter les dernières augmentations des rendements obligataires.
Pendant la période de baisse des rendements obligataires, la plupart des caisses de pension n'ont pas réduit leur taux d'intérêt technique de manière aussi importante que les rendements obligataires au cours de la même période, en raison de la nature du financement à très long terme des caisses de pension suisse. L'avantage de cette approche est que l'augmentation des engagements n'a pas été aussi importante que si le taux d'intérêt technique avait diminué directement avec les rendements obligataires. La valeur des titres obligataires a augmenté au cours de cette période (leur valeur augmentant lorsque les taux diminuent) et, avec des augmentations raisonnables des autres actifs des caisses de pension tels que les actions et l'immobilier, cela signifie que les actifs ont augmenté plus que l'augmentation relative des engagements au bilan. Par conséquent, les degrés de couverture de la plupart des caisses de pension sont restés solides. L'inconvénient de cette approche (comme on l'a vu en 2022) est que lorsque les rendements obligataires ont de nouveau fortement augmenté (la valeur des titres obligataires a donc chuté), il n'y a pas eu de réduction compensatoire des engagements au bilan (très peu de caisses ont augmenté leur taux technique en raison de la nature à long terme de ce taux). Pour compliquer les choses, la valeur des actions a chuté en même temps que celle des titres obligataires, de sorte que les actifs des caisses de pension (obligations et actions) ont diminué de manière significative alors que les engagements sont restés globalement inchangés. Malgré la très bonne performance des actifs des caisses de pension au cours de l'année 2021, cette combinaison de mauvais rendements des actifs en 2022 (généralement des rendements d'environ -10 %) et de pas de changement dans les engagements a signifié que près de 30 % des fonds de pension étaient en sous-couverture statutaire à la fin de 2022 (source : CHSPP). Avoir un découvert statutaire n'est pas la fin du monde, mais il réduit les options des conseils de fondation en ce qui concerne les prestations aux assurés, y compris les augmentations potentielles des rentes, et exige également un plan formel pour rétablir le financement intégral de la caisse pension dans un délai raisonnable. Un tel plan de rétablissement du financement intégral des engagements peut également entraîner des contributions supplémentaires de la part de l'employeur et des assurés eux-mêmes.
Comme indiqué précédemment, la plupart des degrés de couverture des caisses de pension ont diminué de manière significative au cours de l'année 2022. Selon la CHSPP, plus de 80 % des caisses de pension avaient des degrés de couverture supérieurs à 110 % à la fin de 2021, mais ils n'étaient plus qu'environ 30 % à la fin de 2022. Plus important encore, environ 29 % des caisses de pension étaient sous un degré de couverture de 100 % à la fin de l'année 2022, ce qui les oblige à prendre des mesures supplémentaires et à faire l'objet d'une surveillance accrue de la part de l'autorité de surveillance. Le degré de couverture moyen de ces caisses de pension est passé de 118,5 % à 107,0% et, bien qu'il soit encore supérieur à 100 %, il convient de mentionner que les degrés de couverture visés des caisses de pension suisses devraient se situent dans une fourchette de 115 % à 120 %. Ce tampon au-dessus de 100 % (la réserve de fluctuation de valeur) vise à garantir que des crédits d'intérêt raisonnables peuvent être accordés aux comptes des assurés actifs même lorsque les années de rendements sur les investissements sont moyennes ou mauvaises, comme en 2022.
L'augmentation des rendements obligataires au cours de la dernière année a été si spectaculaire que les rendements des titres obligataires de la confédération suisse à 10 ans sont désormais supérieurs à de nombreux taux d'intérêt technique utilisés pour évaluer les engagements des caisses de pension. Les rendements obligataires des obligations de la confédération sont souvent considérés comme un taux de rendement dit « sans risque », de sorte qu'il est sans doute trop prudent que les caisses de pension suisses actualisent leurs engagements futurs à un taux inférieur aux rendements des obligations de la confédération (en particulier lorsque les caisses de pension investissent également dans d'autres catégories d'actifs telles que les actions). La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si les conseils de fondation de ces caisses devraient augmenter le taux d'intérêt technique, ce qui aurait pour avantage de réduire les engagements au bilan. Cette perspective est tentante, mais elle doit être mise en balance avec la nature à long terme du régime de financement statutaire suisse, évoqué plus haut, qui exige un certain conservatisme lors de la définition des hypothèses utilisées. Les conseils de fondation devront réfléchir attentivement à l'évolution du marché financier au cours de l'année à venir au moins.
En réduisant le taux d'intérêt technique au cours des 5 à 10 dernières années, les caisses de pension ont également réduit progressivement les taux de conversion utilisés pour convertir les avoirs accumulés à la retraite en rente de retraite viagère. Cette mesure visait à garantir que ces rentes de retraite puissent être financées par les rendements attendus en baisse. Cela a eu un impact direct sur le niveau des rentes de retraite des nouveaux retraités ces dernières années. Une question encore plus difficile pour les conseils de fondation est de savoir quand et s'il faut augmenter à nouveau les taux de conversion si les rendements des titres obligataires devaient rester à leur niveau actuel ou continuer d’augmenter. L'augmentation et la diminution du taux d'intérêt technique en fonction des hausses et des baisses des rendements obligataires présentent l'avantage d'aligner partiellement les actifs sur les passifs au bilan, mais faire de même avec le taux de conversion a un impact direct sur le niveau des rentes de retraite des futurs retraités. Les conseils de fondation pourraient donc hésiter à agir trop rapidement en augmentant à nouveau le taux de conversion. Par exemple, comment gèreraient-ils les conséquences inéquitables pour les retraités qui ont pris leur retraite pendant la période où les taux de conversion étaient plus bas ? Ou s'agit-il simplement d'un manque de chance ?
Les caisses de pension et les employeurs qui souhaitent réduire leur exposition au risque de sous-financement des rentes de retraite en cours pourraient envisager de mieux garantir ces engagements futurs liés aux retraités auprès d'un assureur ou par le biais de stratégies d'appariement des flux de trésorerie. Les rendements obligataires plus élevés offrent la possibilité de garantir un tel investissement à un coût global inférieur à ce qu'il était possible de faire au cours des 10 à 15 dernières années. Ce serait en particulier le cas pour les caisses dont le profil est très mature (avec un nombre élevé de retraités) et qui ont moins de possibilités de s'adapter à l'évolution des conditions du marché à l'avenir. En Suisse, le marché du transfert des engagements de retraités à des assureurs a été pratiquement inexistant ces dernières années, mais les stratégies d'appariement des flux de trésorerie redeviennent possibles. Il est également possible que la hausse des rendements obligataires entraîne un changement dans le comportement des assureurs. En outre, la commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle devrait donner de nouvelles orientations dans le courant de l'année sur le possible transferts des rentiers, ce qui pourrait créer une certaine dynamique sur le marché.
L'inflation érode la valeur des rentes de retraite au fil des années. De nombreux retraités dépendent fortement de leur rente pour couvrir leurs frais de subsistance. Lorsque ces frais augmentent sans que leur rente ne soit augmentée en conséquence, cela peut devenir problématique pour eux. La Suisse a connu une longue période d'inflation minimale et, de fait, l'inflation pour les 20 années précédant la fin 2022 n'a été que de 0,38 % par an (c'est-à-dire des augmentations minimes du coût moyen de la vie sur 20 ans). Cela signifie que les rentes n'ont pas eu besoin d'être augmentées pour maintenir le niveau de vie de base des retraités. La question est de savoir si l'absence d'augmentation des rentes en cours restera une possibilité réaliste pour les caisses de pension si la Suisse connaît une période d'inflation plus importante et plus durable à l'avenir.
Plus de détails sur l'inflation et l'augmentation des rentes dans notre 360°Prévoyance I News - Inflation – Impact pour les caisses de pension suisses, publié en début d'année.
En ce qui concerne l'évolution future de l'inflation, il est peu probable que la hausse des prix se poursuive aux taux actuels en Suisse, mais il est également peu probable que la hausse des prix revienne au niveau quasi inexistant observé au cours des 20 années précédant 2021. Après tout, l'objectif d'inflation de la Banque Nationale Suisse se situe entre 1 % et 2 % par an et les prévisions des économistes indiquent actuellement que la hausse des prix en Suisse se rapprochera progressivement de cette fourchette au cours des deux ou trois prochaines années. Avec l'inflation actuelle, la décision d'augmenter les rentes est un fardeau supplémentaire qui devrait se concrétiser pour les conseils de fondation dans les années à venir, alors qu'ils sont déjà confrontés à des pressions en matière de sécurité financière (niveaux de financement plus faibles) et à des exigences accrues en matière de gouvernance, y compris la nouvelle loi sur la protection des données.
Un autre élément à prendre en compte dans le nouvel environnement de marché est l'influence qu'il aura sur les tendances actuelles du marché de la prévoyance en ce qui concerne le type d'instrument de pension utilisé par les entreprises, notamment :
L'une des principales raisons de la sortie d'AXA du marché de l'assurance complète a été la période prolongée de faibles rendements obligataires (les assureurs doivent investir massivement dans les titres obligataires). Les assureurs ont eu du mal à financer le taux de conversion historiquement élevé fixé par le gouvernement et, du point de vue des assurés, les attentes en matière d'intérêts crédités sur les avoirs de vieillesse ont chuté de manière spectaculaire. Avec la remontée des rendements obligataires, on pourrait supposer que les prestataires de services d'assurance complète pourraient à nouveau devenir populaires dans les années à venir. C'est certainement possible, mais nous tenons également à souligner que, sur des périodes plus longues, il est assez clair que les portefeuilles d'actifs comprenant des actions, des biens immobiliers et d'autres classes d'actifs alternatifs affichent de meilleures performances que les portefeuilles composés uniquement de titres obligataires. Nous pensons que les assurés (et leurs employeurs) resteront conscients de cette réalité à long terme et que les employeurs souhaitant offrir à leurs employés la meilleure solution de prévoyance possible continueront généralement à s'éloigner des solutions d’assurance complète.
La montée en puissance des régimes de retraite à cotisations définies (1e) s'explique en partie par le fait que les entreprises souhaitent réduire le risque de leur bilan de retraite conformément aux normes IFRS et US GAAP (les entreprises doivent déclarer les régimes suisses ordinaires comme des régimes à prestations définies, tandis que les régimes 1e n'ont pas d'incidence sur le bilan de l’employeur). La hausse récente des rendements des obligations d'entreprises utilisés par ces normes a déjà réduit grandement les engagements que l’employeur doit reconnaître au bilan. Ainsi, nous voyons même des bilans en situation excédentaire sur ces normes IFRS et USGAAP ce qui a permis d'alléger considérablement la pression. On pourrait penser que les entreprises seront moins intéressées par la mise en place de plans de pension à cotisations définies (1e). Cependant, nous ne pensons pas que ce sera le cas, car d'autres raisons ont poussé les entreprises à mettre en place des plans à cotisations définies (1e) :
En outre, rien ne garantit que les rendements obligataires actuels resteront inchangés, de sorte que l'on peut s'attendre à ce que la tendance en faveur des régimes à cotisations définies (1e) se poursuive progressivement.
L'année 2023 a commencé de manière plutôt positive pour les actifs des caisses de pension, avec des rendements généralement positifs compris entre 3 et 4 % pour les quatre premiers mois. Il s'agit certainement d'une bonne nouvelle pour les caisses de pension qui tentent de se remettre d'une situation de sous-couverture et de reconstituer leur réserve de fluctuation de valeur. Néanmoins, les caisses de pension doivent encore relever de nombreux défis pour maintenir et améliorer la sécurité financière de leurs assurés, notamment en gérant les risques liés à l'actif et au passif, en naviguant dans les méandres du nouveau monde de l'investissement ESG, en envisageant des mécanismes potentiels d'augmentation des rentes et des exigences accrues en matière de gouvernance, y compris la nouvelle loi sur la protection des données. Nous prévoyons d'actualiser cet article au cours de l'année à venir afin de donner à nouveau une lecture de l'orientation des caisses de pension suisses.